REPRODUCTION DES ŒUVRES D’ART

REPRODUCTION DES ŒUVRES D’ART

LE DÉVELOPPEMENT des techniques audiovisuelles depuis la Seconde Guerre mondiale a profondément modifié le statut de l’art dans la société occidentale. La photographie en couleurs et le disque de haute fidélité ont d’abord fait accéder les arts plastiques et la musique au mode de diffusion qui était celui de la littérature depuis l’invention de l’imprimerie: la reproduction commerciale. Puis une nouvelle étape a été franchie avec l’essor de la photocopie, du magnétophone et, dernièrement, du magnétoscope. L’amateur d’autrefois, qui se déplaçait pour voir ou entendre ou même lire, fait place à un stockeur impénitent, archiviste de son prêt-à-jouir exclusif, qui transgresse le circuit commercial en reproduisant directement les œuvres de son choix avec ses prothèses électroniques. Ainsi se trouve en passe d’être réalisé le «musée imaginaire» d’André Malraux: quelles que soient les barrières juridiques mises en place pour canaliser cette liberté picorante, qui nuit beaucoup plus aux intermédiaires commerciaux qu’aux artistes, l’ère de la grande consommation culturelle est amorcée. D’abord désacralisée, voici l’œuvre d’art banalisée: autrefois précieuse, car unique et difficile d’accès, elle prolifère aujourd’hui et constitue désormais un élément de la vie quotidienne, aussi bien dans l’intimité que dans les lieux publics. Les optimistes estimeront que cette démocratisation de la culture est l’un des aspects les plus positifs de la technomanie contemporaine; les pessimistes penseront qu’elle n’est obtenue qu’au prix d’une méconnaissance croissante du sens de l’art: plus le message est répété, plus il s’édulcore.

De fait, il nous est très difficile de concevoir aujourd’hui ce qu’a pu être l’intensité suggestive de l’art lorsqu’il était rare: réservé aux grandes occasions de l’existence, mais surtout lié au sacré. Chaque œuvre avait alors une puissance de fascination et d’exaltation qui lui conférait un caractère magique. Le pouvoir de créer, de rivaliser avec la nature, si maladroitement que ce fût, faisait des artistes des démiurges, intermédiaires entre l’homme et la divinité. En ces périodes hautes, la reproduction des œuvres d’art n’existe pas: la création est répétitive, car presque toute œuvre participe d’un type étroitement défini, qui bride la créativité de l’artiste en n’autorisant que peu de variantes, mais l’œuvre qui en résulte est toujours unique. Le statut de l’œuvre change lorsque l’on passe aux périodes culturelles: l’art ayant acquis alors une valeur autonome, l’œuvre devient un objet esthétique. Des amateurs apparaissent, et donc des collections, bientôt suivies d’un public. La demande accrue qui en résulte crée un marché de l’art, qui se tend rapidement à cause de la rareté du produit.

Alors apparaît la reproduction, qui satisfait au rabais la partie du public la moins exigeante, mais aussi unifie et stimule la production en véhiculant les œuvres les plus célèbres: l’artiste n’est plus isolé dans son lieu de création; les écoles locales se contaminent, c’est l’ère des influences, de la koinè qui débouche sur l’éclectisme. Cette sous-production reste longtemps manuelle, faute de moyens techniques: les copies qui en résultent, si fidèles qu’elles se veulent, marquent toujours un certain décalage par rapport à l’original, parce qu’elles ne sont pas machinales. On verra ci-dessous, à propos des COPIES DANS LA SCULPTURE ANTIQUE, les problèmes qui en résultent pour l’histoire de l’art, surtout lorsque les originaux sont perdus: le médium est un filtre dont il est difficile d’apprécier le pouvoir déformant. Le même problème se pose pour les copies de peintures, mais simplifié par le fait que, généralement, les originaux sont encore accessibles et que, de plus, les copies ont été souvent réalisées dans l’atelier même du créateur, ce qui réduit la marge d’interprétation du copiste. Ce type de reproduction, actif et donc approximatif, est resté limité, parce qu’il reproduit non pas tant l’œuvre achevée que le processus même de la création. À ce titre, il a une valeur pédagogique éminente: les plus grands peintres, jusqu’à Giorgio De Chirico, copieront des œuvres anciennes pour apprendre «comment c’est fait». Quant à la reproduction machinale et industrielle, elle apparaît dans l’art occidental par le biais de la gravure d’interprétation (cf. infra , COPIE ET REPRODUCTION DEPUIS LA RENAISSANCE). Mais le passage à un médium différent de l’original peint ou sculpté entraîne une déperdition considérable d’information et de saveur. C’est cet écart que les moyens modernes de reproduction s’attachent à réduire progressivement, si bien qu’on peut dès maintenant concevoir des reproductions qui seront identiques à l’original, non pas dans sa facture, mais dans son effet. Cette fidélité croissante du médium restitue-t-elle pour autant au message son intensité authentique? Certes non, si le récepteur s’abandonne à la boulimie que favorisent les procédés individuels de reproduction et au foisonnement parasitaire de l’art d’accompagnement. Ici comme ailleurs, tout dépend désormais du bon usage que le consommateur-amateur fera des moyens mis à sa disposition.

Encyclopédie Universelle. 2012.